Interview de Yann Beuron sur Forumopera

Modeste et discret, Yann Beuron s’excuserait presque de compter parmi les ténors français les plus importants de ces vingt dernières années. Après environ vingt ans d’une carrière qui compte de nombreuses productions remarquables, dans l’opérette comme dans l’opéra contemporain, c’est pétri d’expérience qu’il nous livre une réflexion profonde et sans fards sur le métier et la condition de chanteur. Yann Beuron interprète Licinius dans La Vestale à Bruxelles à partir du 13 octobre.


Après vingt ans de carrière, quel regard portez-vous aujourd’hui sur votre parcours ? Qu’est-ce qui a changé dans votre vision du métier ?

Spontanément, je dirais l’urgence. J’ai 46 ans, je ne me positionne pas de la même façon qu’à 25 ans. Ça ne veut pas dire que je ne ressens pas la pression ou que c’est plus facile, mais de par l’expérience, mon rapport à moi-même et à l’urgence a changé. Je jouis beaucoup plus de mon état de chanteur aujourd’hui que quand j’ai commencé en 1993, à 24 ans. Sans doute parce que j’ai l’impression d’avoir une maîtrise différente de mon instrument, mais c’est aussi du fait de la vie qui s’est déroulée en parallèle. Ma vie ce n’est pas que la musique, je tiens à le souligner, j’ai besoin de faire autre chose que cela. Il est important d’évoluer par rapport à ce métier, et moi j’ai évolué vers un apaisement. Je trouve que finalement rien n’est très grave, je continue à faire ce métier avec joie, et dans le respect de la personne que je suis et de l’instrument que je possède.

Comment votre voix a-t-elle évolué ? Vous donnez le sentiment d’avoir su la préserver avec beaucoup d’intelligence.

Si je suis objectif, je dirais que j’ai commencé ma carrière avec une technique vocale très précaire, le genre de chanteur qui pallie les failles techniques avec son instinct. Mais je ne suis pas le seul. Je n’étais pas très kamikaze et je n’avais pas besoin de chanter tout le temps, un rythme peu intense me convenait. Quand j’étais jeune chanteur, on a pu me solliciter dans des rôles avec des tessitures très hautes, mais j’ai toujours eu une tessiture assez centrale, et c’est pour cela que j’ai chanté Mozart, même si j’ai chanté dans La Belle Hélène avec des contre-ré de pleine voix. Je ne me reconnaissais pas dans le ténor lyrique du XIXe siècle à la française, et je suis content de ne pas être allé dans cette voie. Je sais que ma voix a des aspects barytonnant, mais ce n’est pas pour autant que je suis un ténor grave, j’avais surtout une grande extension dans le registre mixte appuyé. On peut certes entraîner la voix avec les vocalises, mais chanter ce n’est pas muscler. Le chant uniquement testostéroné de certains chanteurs ne m’a jamais intéressé. Si l’on écoute Jonas Kaufmann, par exemple, ce qui est intéressant, c’est sa capacité à avoir une dynamique du très fort au très piano. Aujourd’hui, ma voix a gagné en projection, en solidité, ce qui m’a permis d’aborder Titus, Admète ou dans le futur Ulysse dans Pénélope de Fauré, ce que je n’aurai pas fait à 35 ans.

Est-ce qu’au stade de votre vie et de votre carrière, on a le désir de transmettre ? Quels conseils donneriez-vous à ceux qui débutent dans ce métier ?

Le rapport à la transmission ne dépend pas que de l’expérience. Certains ont envie de le faire très tôt. Ça n’a pas été mon cas mais c’était lié au fait que je ne me sentais pas légitime. C’est quelque chose qui est venu ces dernières années car j’ai été sollicité dans ce sens par des chanteurs ou pour des master classes. Oui, j’ai envie de transmettre, je prends ça comme un échange. Quand j’étais jeune chanteur je ne me suis pas souvent retrouvé dans ce genre de situation, même si j’ai été marqué par certaines rencontres comme Alfredo Kraus, Regina Resnik ou encore Alain Vanzo. Et je trouve ça bien de le faire à un des âges les plus intéressants de ma vie qui est celui de la maturité.

Si j’avais un conseil à donner, je dirais qu’il est important pour un chanteur d’aller vers la culture. L’éducation de la voix, cela reste court et réducteur dans le chemin qui mène au devenir chanteur, ça doit être nourri d’autres choses. Ce conseil ne parlera pas à certains, car on nous engage surtout pour la sûreté technique. Mais ce qui est intéressant, en tant que chanteur, c’est de devenir quelqu’un, de ne pas essayer de faire ce que les autres font déjà, et ce n’est pas prétentieux de le dire. Je conseillerais également de beaucoup travailler la formation musicale, car il est important d’être autonome et d’avoir une grande capacité à préparer une partition seul, sans avoir toujours à attendre d’être avec un chef de chant pour se rendre compte de certaines choses. Enfin, il faut trouver un juste dosage entre le fait de ne pas arriver trop tôt et trop tard : on apprend véritablement à chanter sur scène, pas en restant dans une salle de conservatoire où l’on ne peut pas se rendre compte de la dimension d’une voix. Je dirais aussi que c’est bien de prendre son temps, et qu’il n’y a pas de honte à cela, même si l’on a de belles potentialités. Le chant est un art qui va dans le sens de la maturité. Or les agents disent le contraire et on devrait les pendre pour ça.

On dit souvent de vous que vous vous produisez trop rarement, qu’en pensez-vous ?

Ça n’est pas vraiment fondé puisque je n’ai jamais arrêté. Mais ça dit des choses diverses. Ça dit une vérité, c’est que d’une part je chante plus à l’étranger qu’en France, mais aussi que j’ai refusé des rôles parce que j’avais envie d’avoir du temps pour moi, pour des choses simples, pour être avec ma famille, faire des voyages. Je sais aussi que je ne suis pas prophète en mon pays et que je ne suis pas le premier auquel on pense pour certains rôles.

Est-ce que cela n’a pas aussi un rapport avec un certain degré de médiatisation ?

C’est vrai que j’ai très tôt refusé les situations médiatiques, sans regret aucun, je ne m’y sentais pas à l’aise. Pour être médiatisé, il faut des raisons de l’être mais aussi au départ en avoir le goût. Je n’ai ni l’un ni l’autre ! (rires) J’ai régulièrement accepté de participer à des émissions de radio quand mon actualité musicale s’y prêtait. Par contre, la télévision, par exemple, est un média que je n’aime pas trop, je n’aimerais pas que l’on manipule mon image. C’est important de rester présent aux yeux de ceux qui vous engagent, les directeurs de théâtre, les organisateurs de concerts. Et c’est là que le métier d’agent est essentiel. Peu sont les chanteurs qui peuvent s’en passer et, malheureusement, je dirais qu’aujourd’hui, ils dépendent de plus en plus du bon vouloir des agents qui ne sont pas tous compétents, loin s’en faut. Pour la petite histoire, je me suis quand même entendu dire à 44 ans en pleine carrière, passé par l’Opéra de Paris, Covent Garden et la Monnaie, que je devrais peut-être arrêter ce métier parce que j’étais trop vieux, et que je devrais songer à faire autre chose… Mieux vaut en rire, même jaune ! Je pense que cela arrive malheureusement souvent mais c’est une situation face à laquelle j’ai vite réagi en changeant d’agent, et désormais des projets plus intéressants m’attendent, notamment à la Scala. Ce n’est pas à l’agent de décider quand on arrête ou quand on continue.

Vous êtes un des grands ambassadeurs de la musique française… Est-ce le fruit du hasard, est-ce le fait de votre voix qui s’y prête naturellement ou est-ce votre goût particulier pour la langue française ?

Les trois. Mais je pense que ma voix est bien mise en valeur par ce répertoire, et c’est aussi peut-être un aspect de moi un peu fainéant qui est que je n’ai pas voulu m’étendre à tous les répertoires. On m’a proposé beaucoup de répertoire français et finalement j’aimais ça, et je ne pense pas que c’est en chantant Peter Grimes que j’aurai pu chanter à Covent Garden…

Ce n’était pas par volonté de se démarquer ?

Non, ce n’était pas un projet en soi, j’avais surtout besoin de me définir dans une identité vocale. Pour Admète, Olivier Py avait dit une fois : « ce que fait Yann, il n’y a que lui qui le fait ». Ça en fera peut-être rire certains mais je trouve cela joli. Admète a été un de mes plus beaux succès publics, ce fut une belle expérience, et c’était aussi pour moi, pour des raisons personnelles, un rendez-vous à honorer et je n’ai pas raté ce rendez-vous.

On sent chez vous un goût prononcé pour le théâtre. Est-ce que, comme Natalie Dessay, par exemple, vous vous dirigeriez vers le théâtre pur ?

Oui j’ai clairement un goût pour le théâtre, ça m’attire beaucoup. Les expériences qui m’ont fait le plus avancer ont toujours été dans une approche très théâtrale de la chose, et c’est aussi ce qui permet d’avoir plus de distance par rapport au chant. Maintenant, ce n’est pas toujours couronné de succès. Ce n’est pas parce que vous développez un don pour le théâtre, mais supporté par le chant, que vous êtes bon pour faire du théâtre pur. Je pense que j’en ai le goût mais pas forcément au point d’en faire. Mais ce qui est certain c’est que j’ai besoin d’explorer cette dimension, rien ne me terrifie plus que d’être en carafe.

Vous n’avez semble-t-il enregistré que deux disques solo, c’est peu, surtout quand on pense aux deux superbes récitals que vous aviez donné à l’amphithéâtre Bastille il y a deux ans. Pourquoi ?

Parce que ce n’est pas vraiment moi qui contrôle ça. Bon, je ne suis pas non plus très volontaire pour ce genre de projet, je ne rêve pas de graver des disques, et je ne suis pas fan de la situation d’enregistrement où il faut s’arrêter et reprendre. J’aime le chant dans l’instant, je n’aime pas beaucoup m’écouter, et je n’ai pas forcément besoin de laisser des traces. Et je ne suis pas dans un type de carrière où je suis très sollicité par les maisons de disque.

Pouvez-vous nous parler de votre collaboration avec Philippe Boesmans ?

J’ai rencontré Philippe Boesmans environ un an avant Yvonne, princesse de Bourgogne. C’est une personne vraiment charmante. C’était chez lui, à Bruxelles. On s’est mis au piano, on a parlé de tessiture, et il me disait qu’il pouvait adapter la partition en fonction. Je me souviens lui avoir dit que j’aimais bien les nuances de piano dans l’aigu, c’est un détail qui me revient. Et puis on est allé déjeuner et on a pris un verre de vin blanc… Pour la création, je me sentais tout à fait prêt, le rôle du Prince est très beau, avec un bel ambitus. Je me souviens qu’il avait à cœur que l’on retravaille ensemble, et par la suite, la collaboration s’est prolongée pour Au monde. Le rôle que j’y incarnais, le mari de la fille aînée, était pour moi l’occasion d’aborder un type de personnage que l’on confie peu aux voix de ténors. Nous sommes souvent cantonnés aux amoureux, aux héros, mais rarement aux salauds ! Et là, en l’occurrence il s’agissait d’un arriviste, un manipulateur décomplexé… Nous travaillons actuellement sur un nouveau projet, mais je ne peux pas en dire plus.

Quels sont vos principaux projets pour la saison 2015-2016 ?

Il y a La Vestale de Spontini en octobre, mais en version française, pas dans les versions chantées par Callas et Corelli à la Scala. C’est un peu particulier, les tessitures chez Spontini en clé de sol sont très graves et la musique est intéressante, mais c’est assez mal prosodié. Mais je me réjouis de ce projet car c’est à la Monnaie, maison où il fait bon travailler.

Ensuite je serai Fridolin XXIV dans Le Roi Carotte d’Offenbach mis en scène par Laurent Pelly en décembre, et je retrouve Felicity Lott avec qui j’ai souvent chanté. La première fois c’était en 1993, j’étais laquais, elle était maréchale, on n’avait pas grand chose à se raconter mais on s’est rattrapé depuis. C’est plus du théâtre que de l’opéra mais moi j’aime beaucoup ça.

Enfin, en avril-mai il y a L’Heure espagnole de Ravel dans la mise en scène de Pelly à la Scala, que j’avais déjà chanté avec Sophie Koch sous la direction d’Ozawa. J’affectionne beaucoup le rôle de Gonzalve, le poète fat, c’est très rigolo et très beau. Et ça me va bien de chanter pour la première fois dans ce théâtre avec ce rôle.

Propos recueillis par Sonia Hossein-Pour // Forumopera

Retrouvez Yann Beuron dans la Vestale de Spontini à la Monnaie de Bruxelles les 13, 15, 17, 20, 22 et 25 octobre 2015.

La Monnaie / De Munt



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