Madama Butterfly, Luxembourg

Créée en 2004 à l’Opéra de Lille, reprise ensuite à Nancy, Angers et Dijon, la mise en scène de Madama Butterfly par Jean-François Sivadier n’a pas pris une ride. Servie par un plateau vocal de grande classe, la partition de Puccini bouleverse le spectateur au plus profond de son âme.

Débarrassé de tout accessoire inutile, le décor sobre et neutre se limite à un plateau légèrement incliné à peine encombré de quelques chaises. De larges tentures de soie soutenues par des châssis en forme de croix contribuent à définir et à délimiter un espace à la fois perdu dans les hauteurs, extérieur et intérieur, ouvert et clos, simple radeau irrémédiablement coupé de tout repère. C’est dans ce lieu à la dérive que se construisent et se détruisent les illusions de Butterfly, toutes figurées par des voiles et des tentures tantôt menaçantes, tantôt protectrices, susceptibles en tout cas d’évoquer autant le miroitement de la mer et la baie de Nagasiki que les affres dans lesquelles est plongée l’héroïne puccinienne. Victime de son aveuglement, de sa folie et de son isolement, cette dernière évolue jusqu’à la mort dans un huis-clos rendu d’autant plus terrifiant qu’à tout moment elle est placée sous la surveillance de comparses qui ne la lâchent pas d’une semelle. Aux côtés de la fidèle Suzuki et d’un Sharpless d’une rare humanité, Goro, un Serviteur omniprésent mais aussi certains personnages du chœur deviennent des présences plus qu’inquiétantes, témoins impuissants non seulement d’une souffrance infinie mais aussi du sombre rituel mortuaire qui se déroule sous les yeux d’un spectateur constamment pris à la gorge. À aucun moment la tension ne se relâche, même si l’humour affleure ici et là au cours d’un suspens grandissant où l’action ne se détend jamais. C’est donc essentiellement, on le voit, sur la direction d’acteurs que repose une mise en scène qui, de toute évidence, fait le choix de privilégier la richesse psychologique d’un personnage toujours aussi fascinant dans sa mystérieuse détermination à renier tout ce qui n’est pas l’homme qu’elle aime, et à jouir de tout ce qui la fait souffrir. Quelles que soient leurs qualités ou leurs déficiences vocales, pour ne rien dire de leur adéquation physique au rôle, les interprètes réunis sur le plateau jouent à fond, et sans exception, la carte de la vérité dramatique et de la quête obsessionnelle de l’émotion.

Même s’il a peu à chanter, on saluera donc tout d’abord l’extraordinaire performance théâtrale du ténor François Piolino, Goro plus vrai que nature. À ses côtés, Armando Noguera est un Sharpless bienveillant à souhait, idéal aussi bien vocalement que scéniquement. En Suzuki, la cantatrice russe Victoria Yarovaya fait valoir un mezzo rond et chaud, tout en campant un personnage moins maternel qu’on ne le représente d’habitude. Plutôt instable vocalement, le jeune ténor lithuanien Merunas Vitulskis souffre en plus d’une gaucherie scénique qui finirait presque par accentuer le côté immature et irresponsable de Pinkerton, davantage montré ici comme un personnage inconscient de ses actes que comme le cynique séducteur que d’autres mises en scène ont parfois privilégié. Dotée d’un instrument non dénué de quelques aigreurs, la soprano italienne Serena Farnocchia maîtrise de façon absolue toutes les ambiguïtés d’un personnage qu’elle sait rendre aussi bien attachant que déchirant. Sa voix au timbre relativement corsé, capable néanmoins des pianissimi les plus raffinés, parvient à dominer l’orchestre aux moments les plus éprouvants. Superbe prestation, assurément, fort efficacement soutenue par la direction ferme et imaginative d’Antonino Fogliani, chef d’orchestre capable de faire ressortir des détails d’instrumentation qui pourraient presque donner l’impression qu’on entend pour la première fois une partition que l’on croyait connaître par cœur. L’Orchestre Philharmonique de Luxembourg a su réagir au quart de tour à une direction qui, à l’instar de la mise en scène, ne connaît ni relâchement ni faiblesse.

Pierre Degott

RESMUSICA



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